Raconter…

Pourquoi raconte-t-on des histoires ?




A mes yeux, la question est incongrue. Après tout, pourquoi respire-t-on ?

Raconter des histoires, se les raconter à soi-même, remonte si haut dans l’enfance, plus haut que la mémoire, plus haut que l’acquisition même des mots permettant de formuler la question. L’imaginaire, le champ des possibles, est de la même essence que le rêve : insondable, indicible, illimité.

Se raconter des histoires donc, quand on est encore proche du sol, de la terre chaude et poudreuse des jours d’été, proche des escargots et des fourmis – qu’est-ce que ça fait d’être si petit ? Les escargots croient-ils au ciel, les fourmis n’ont-elles vraiment peur de rien ? Et le peuplier géant au bord de l’eau, m’entend-il, me voit-il ?

Au fil des ans, les histoires se font plus structurées, plus formulées. J’ai reçu des récits, immenses ou minuscules, qui transportent loin, donnent le vertige des voyages impossibles, dans le temps d’avant – où j’aime tant m’aventurer. Ils sortaient des livres, mais aussi des souvenirs des personnes âgées et même du bric-à-brac le plus banal : un tesson, une chaussure, un graffiti, dernières et éloquentes empreintes de vies évanouies.

Raconter, c’est traduire l’émerveillement, l’interrogation, le jeu et le voyage ; c’est tenter de mettre des mots sur ces émotions. On découvre bientôt qu’elles sont partagées par tous les publics, et même par tous les peuples depuis que la parole existe. Que toute terre des hommes est saturée de récits. Que les mots pour les partager sont le plus solide écrin de l’expérience humaine.

Photo : Marco Willems, Manège Toutella, 2023